Marché de substitution : un triangle contractuel juridiquement toxique ?
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A propos de Conseil d’Etat, 5 avril 2023, Ministre des Armées, n° 463554
Lorsqu’une administration ou une collectivité publique est insatisfaite de la qualité de l’exécution de la prestation réalisée par son cocontractant, elle peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de remédier aux difficultés, décider de la confier à une autre entreprise et ce, aux frais et risques, du contractant initial.
Le marché de substitution instaure une sorte de ménage à trois : la personne publique déçue mais déterminée à obtenir ce qu’elle souhaite, le prestataire initial écarté mais qui devra supporter les frais et risques des actes du nouvel arrivant, et le nouveau prestataire censé lui redresser les torts du premier. Une fin heureuse ?
En d’autres termes, le prestataire éconduit paye la note de la nouvelle relation entre la collectivité publique et le nouveau prestataire.
Néanmoins, le prestataire éconduit n’est pas dépourvu de droits.
En effet, le prestataire éconduit doit :
« Être mis à même de suivre l’exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par l’administration en raison de l’achèvement des prestations par un nouvel entrepreneur étant à sa charge » (Conseil d’Etat, 27 avril 2021, Constructions Bâtiments Immobiliers, n° 437148).
Toutefois, la décision récente du Conseil d’Etat vient préciser les contours de ce droit d’information du prestataire écarté :
« A cet effet, si l’administration doit dans tous les cas notifier le marché de substitution au titulaire du marché résilié, elle n’est tenue de lui communiquer les pièces justifiant de la réalité des prestations effectuées en exécution du nouveau contrat qu’à la condition d’être saisie d’une demande en ce sens » .
Ainsi, si le prestataire écarté dispose d’un droit à être informé de ce qu’il paye au titre de la nouvelle relation, encore doit-il faire la demande des pièces justificatives auprès de la personne publique pour en contester valablement le montant ou encore la réalité des prestations réalisées… A défaut, c’est tant pis pour lui.
En effet, le Conseil d’Etat tire de cette précision la sanction suivante :
« Pour juger que la S../… n’avait pas mis la société I…/… France à même de suivre l’exécution du marché de substitution, la cour a estimé que la société avait entendu vérifier la réalité des prestations exécutées en contestant par des mémoires en réclamation les deux décomptes provisoires qui lui avaient été adressés. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la société avait saisi la S…/…. d’une demande de communication de pièces justifiant de la réalité des prestations, la cour a commis une erreur de droit. La ministre des armées est ainsi fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de son pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque en tant qu’il a déchargé la société I…/…. France de l’obligation de payer la somme de 2 039 283,92 euros et annulé le titre exécutoire émis le 15 décembre 2017 en tant qu’il met à sa charge une somme excédant 57 204,08 euros » .
En résumé, le marché de substitution est donc un ménage à trois, où le prestataire écarté doit veiller à solliciter la communication des pièces justifiant de la réalité des prestations mises à sa charge, au risque d’être complétement mis à l’écart lorsqu’il tentera de contester auprès des juridictions administratives le montant final des frais réclamés au titre dudit marché de substitution.
Non seulement le prestataire éconduit doit payer la note de la nouvelle idylle mais encore doit-il s’y intéresser pour éventuellement en contester le coût… de quoi contribuer à maintenir la rancœur en entretenant la colère d’informations.
La décision est consultable ici.
Article par Jean-Noël LITZLER