FOCUS : SUBVENTIONS ET AIDES D’ETAT, UN REFLEXE A NE PAS OUBLIER

#Contrats publics

Le versement des subventions par les collectivités territoriales est toujours un sujet délicat à manier politiquement mais également juridiquement.

Il est toujours nécessaire de vérifier qu’elles ne peuvent être qualifiées de contrat public mais pas seulement : dans certains cas, elles sont susceptibles d’entrer dans le champ d’application du régime des aides d’Etat. Ce régime est désormais bien connu et délimité en théorie par la jurisprudence européenne ; mais la pratique se révèle souvent plus sinueuse.

L’intérêt de cette distinction ne concerne pas uniquement les collectivités territoriales mais aussi les bénéficiaires car en présence d’une aide d’Etat, si elle s’avère illégale, elle devra être remboursée.

Par principe, les aides d’Etat sont interdites et incompatibles avec le marché intérieur, lorsqu’elles « affectent les échanges entre Etats membres » et qu’elles « faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions » (article 107 §1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

Evidemment, il n’est pas toujours aisé de déterminer pour chaque cas s’il s’agit ou non d’une aide d’Etat.

 

1ère étape : qu’est-ce qu’une aide d’Etat ?

Une mesure financière est qualifiée d’aide d’Etat si elle réunit 4 critères cumulatifs :

Ø Une aide publique provenant de ressources de l’Etat ou des collectivités territoriales

Ø Un avantage sélectif par opposition à une mesure ou une aide qui serait générale. L’avantage doit favoriser un nombre limité de bénéficiaires

Ø Une aide affectant la concurrence : cette affectation est actuelle ou potentielle. Il faut raisonner par rapport au marché et les coûts que doivent supporter normalement une entreprise. L’aide doit favoriser l’entreprise, créer une amélioration de sa situation financière. La Cour de l’Union européenne, lorsqu’elle est saisie d’une question à ce sujet, compare la situation financière une fois la mesure prise avec la situation financière sans cette mesure (CJCE, 2 juillet 1974, Italie / Commission c173/73).

Ø Une aide affectant les échanges intra Union Européenne

Ce critère est largement interprété et concerne le cas où la mesure va apporter un soutien par rapport aux autres entités présentes sur le même marché. Elle place l’entreprise dans une situation plus favorable que les autres.

Des critères communs à ces aides ont été identifiés dans le Vademecum des aides d’Etat (publié par le Ministère de l’Economie et des finances – 2019) et se révèlent être les suivants :

–                     Contribution à un objectif d’intérêt commun : il faut que l’aide poursuive un but d’intérêt commun que l’Etat a défini ou plus généralement un objectif d’intérêt général (Tribunal Union Européenne, 9 juin 2016, Magic Mountain Kletterhallen GmbH e.a contre Commission, T-162/13).

–                     Nécessité d’une intervention de l’Etat : l’aide doit être indispensable à la poursuite de l’objectif d’intérêt général

–                     Caractère approprié de la mesure d’aide : il est possible d’aider une entreprise de différentes manières (garanties d’emprunt, subvention, fiscalité etc..). Avec la mesure choisie il faut créer le « moins de distorsion de la concurrence »

–                     Effet incitatif de l’aide : il faut que l’entreprise soit incitée à exercer de nouvelles activités, à créer une dynamique positive

–                     Proportionnalité de l’aide : l’aide doit être limitée au strict nécessaire pour réaliser l’objectif d’intérêt général

–                     Balance entre les effets négatifs et positifs de l’aide : si la Commission est saisie elle veille à ce que les effets négatifs de l’aide soient inférieurs aux effets positifs.

–                     Transparence de l’aide : les éléments et informations constituant cette aide doivent être accessibles à tous ceux qui sont intéressés.

(Extraits Vademecum des aides d’Etat)

 

2ème étape : qui est susceptible d’en bénéficier ?

Une fois compris ce qu’est une aide d’Etat, encore faut-il savoir quelles entités peuvent être considérées comme pouvant en bénéficier : il doit s’agir d’une entreprise exerçant une activité économique.

D’une part, la notion d’entreprise est entendue largement comme « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement » (CJCE, 23 avril 1991, Hofner, C-41/90).

D’autre part, l’activité économique représente toutes les activités qui offrent un bien ou un service sur un marché donné (CJCE, 16 juin 1987, Commission / Italie, C118/85 – 25 octobre 2002, Ambulanz Glockner, C475/99). La jurisprudence retient comme critère celui de la rémunération, la contrepartie économique du service fourni.

Par exemple, en ce qui concerne l’enseignement, il a été considéré que l’enseignement public ne pouvait être qualifié d’activité économique dès lors que ce service est financé par des deniers publics, bien que des frais de scolarité puissent être sollicités. Pour la Cour, ces frais ne constituent pas une rémunération dès lors qu’ils ne couvrent pas l’intégralité du coût de la scolarité et donc du service rendu (CJCE, 27 septembre 1988, HUMBEL, 263/86 – CJCE, 7 décembre 1993, WIRTH, C-109/92).

Par ailleurs, le statut juridique de l’entreprise importe peu. Une association à but non lucratif peut exercer une activité économique lorsqu’elle va réaliser des actions lui apportant un revenu. Par exemple, des contrats de parrainage, de publicité, d’assurance…(voir par exemple, CJCE, 1 juillet 2008, C49/07).

Voir également pour un exemple d’application de ces principes réaffirmés dans un arrêt de la CJCE du 11 septembre 2007 – Commission des Communautés européennes contre République fédérale d’Allemagne (concernant Législation en matière d’impôt sur le revenu – Frais de scolarité – Droit à déduction limité aux frais de scolarité versés à des établissements privés nationaux Affaire C-318/05).

 

3ème étape : si la subvention est une aide d’Etat, que faire ?

S’il s’avère que la subvention puisse s’apparenter à une aide d’Etat, pas de panique. Le principe d’interdiction de versement d’aide d’Etat souffre (inévitablement) d’exceptions. Ainsi, certaines mesures financières sont admises de droit et d’autres sont considérées comme compatibles avec le marché intérieur si elles répondent à certaines condition (article 107 du TFUE).

Il reste encore à identifier le régime auquel elle peut se rattacher : l’enjeu de cette qualification, outre le fait qu’elle doit être légale, c’est la procédure et les seuils à suivre. L’un des risques étant que si la Commission européenne considère l’aide illégale alors elle doit être remboursée par son bénéficiaire.

La législation européenne prévoit des dérogations au régime d’aide d’Etat qui sont nombreuses et qui sont considérées comme compatibles, en voici quelques unes :

·                   Règlement dit de minimis : les aides dont le montant est inférieur à 200 000 euros sur une période de trois ans n’ont pas à être notifiées.

·                   Les aides exemptées sur le fondement du règlement général d’exemption (RGEC) : Ces aides sont limitativement énumérées et considérées comme compatibles avec la législation européenne et donc non soumises à l’obligation de notification de l’article 107§3, en fonction des seuils fixés (règlement n°651/2014).

·                   Les aides qualifiées de compensation des missions de service public pour les SIEG

 

Un Service d’intérêt économique général (SIEG) est défini comme une activité économique (au sens du droit de la concurrence) exercée par une entreprise qui revêt un caractère d’intérêt général et qui est confiée par un acte exprès de la puissance publique. Sans l’intervention de l’Etat, cette activité ne serait pas exécutée par le marché.

L’arrêt de la CJCUE du 24 juillet 2003 dite ALTMARK définit les critères qui permettent à ces services d’échapper à la qualification d’aides d’Etat :

–                     L’entreprise doit avoir été chargée expressément d’obligations de service public clairement définies ;

–                     La compensation doit pouvoir être calculées par des paramètres objectifs de calcul avant versement ;

–                     Pas de surcompensation ;

–                     Une procédure de mise en concurrence a permis de confier la mission de service public à cette entreprise. En l’absence de cette procédure, le niveau de compensation doit être défini sur une analyse des coûts qui seraient réalisés par une « entreprise moyenne, bien gérée ».

C’est le paquet dit ALMUNIA qui précisent comment les compensations sont compatibles avec le régime des aides d’Etat (paquet du 20 décembre 2011).

 

4ème étape : Schéma de la procédure à suivre en cas d’aide d’Etat

Si l’analyse de la subvention conduit à une qualification d’aide d’Etat, voici une synthèse de la procédure à suivre :

Pour les aides comprises dans le règlement d’exemption, il faut adresser une demande d’information au représentant de l’Etat. Le Préfet de région la transmet avec son avis au ministère. Des formulaires types sont prévus dans les règlements européens (DG Concurrence de la Commission européenne). Il en va de même dans le cas prévu par les articles L1511-1-1 du Code général des collectivités territoriale : avant d’octroyer une aide il faut prévenir le Préfet de région.

Il existe également une procédure de pré-notification pour interroger en amont la Commission.

NOTIFICATION

–           Si c’est une aide : notification à la Commission européenne.

–           Si application du régime d’aide non défini en tant que tel alors il faut le notifier avant sa mise en œuvre à la Commission. Sinon, l’aide est réputée illégale, elle pourra être rembourser dans ce cas.

EXAMEN

Examen préliminaire : Délai de deux mois pour la Commission à compter de la notification complète de la mesure. La Circulaire précise qu’en général l’examen de l’aide nécessite une durée de 9 à 12 mois.

A la fin du délai :

·        Accord tacite = décision implicite de compatibilité : possible mise en œuvre de la mesure, après en avoir avisé préalablement la Commission, sauf si la Commission, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception de cet avis prend une décision qui peut avoir le sens suivant :

o  La mesure est une aide

o  La mesure est compatible

o  La Commission a des doutes et décide d’ouvrir une procédure formelle d’examen. Cette procédure est contradictoire : décision qui expose les doutes de la Commission envoyés à l’Etat membre et aux parties intéressées qui peuvent y répondre (en général dans un délai d’un mois). Les tiers sont invités à se prononcer également. A la suite de cette période, la Commission :

o  Constate que la mesure n’est pas une aide

o  Prend une décision de compatibilité

o  Prend une décision conditionnelle pour garantir la compatibilité et prescrire des obligations pour contrôler le respect de sa décision

o  Décision d’incompatibilité : il faut renoncer à mettre à exécution l’aide notifiée ou récupérer l’aide auprès du bénéficiaire si elle a déjà été versée.

 

En conclusion, le versement des subventions n’est jamais anodin et ne pas hésitez à vérifier sa comptabilité avec le droit de l’Union européenne !

 

Article par Sarah GNENO-GUEYDAN

Auteur Sarah Gneno-Gueydan

par Sarah Gneno-Gueydan