LUXLEAKS : Un rappel des critères applicables à la protection de lanceur d’alerte

#Structuration des services et organisation administrative#Fonction Publique et Ressources humaines

Avec l’arrêt LUXLEAKS, la CEDH rappelle les critères « aisément » applicables selon elle par les juridictions nationales lesquelles posent de leur côté et progressivement le régime de preuve en cas de sanctions pour « divulgation ».

 

Par un arrêt de Grande Chambre rendu le 14 février 2023, la CEDH a rappelé les critères d’appréciation qu’il revient aux juridictions nationales d’appliquer s’agissant de la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte et de la protection qui en découle.

 Elle maintient en les précisant les six points qui doivent être pris en considération.

 Ci-dessous, la grille d’analyse désormais solidement fixée :

« 114.  Les six critères ainsi définis par l’arrêt Guja sont donc les suivants :

˗         l’existence ou non d’autres moyens pour procéder à la divulgation ;

˗         l’intérêt public présenté par les informations divulguées ;

˗         l’authenticité des informations divulguées ;

˗         le préjudice causé à l’employeur ;

˗         la bonne foi du lanceur d’alerte ;

˗         la sévérité de la sanction. »

 

 Il est, au passage, rappelé que les agents du secteur public ne sont pas soumis à un régime distinct et que détenir une information n’est certainement pas un élément suffisant dès lors qu’un « juste équilibre » doit être trouvé entre la liberté d’expression et les droits et obligations découlant de la situation professionnelle.

« 115.  Dans les affaires ultérieures dont elle fut saisie, mettant en jeu la divulgation d’informations confidentielles par des employés du secteur public, la Cour a fondé son appréciation sur cette batterie de critères (entre autres Bucur et Toma, précité, et Gawlik, précité).

 …/…

118.  Par ailleurs, la Cour a jugé que ne relevaient pas du champ du lancement d’alerte les révélations faites par un fonctionnaire qui n’avait pas un accès privilégié ou exclusif à des informations, qui n’apparaissait pas tenu par une obligation de secret ou de discrétion à l’égard de son service, et qui ne semblait pas avoir subi de répercussions sur son lieu de travail du fait des révélations en question (Wojczuk c. Pologne, no 52969/13, §§ 85-88, 9 décembre 2021). »

Et la Grande Chambre de rappeler que son intervention ne peut être que subsidiaire dès lors qu’il appartient aux juridictions nationales de mettre en œuvre les critères qu’elle prend donc le soin de détailler à nouveau et qui, selon elle, peuvent être « aisément appliqués »

« 161.  À cet égard, la Cour souligne qu’elle attend d’autant plus des juridictions nationales qu’elles prennent en compte sa jurisprudence dans l’élaboration de leurs décisions que celle-ci apparaît, sur les questions en litige, à la fois substantielle et stable, et qu’elle a dégagé un ensemble de principes et de critères objectifs, pouvant être aisément appliqués. »

Du côté de la Cour de cassation : un rappel du régime probatoire opéré le 1er février 2023. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 février 2023, 21-24.271, Publié au bulletin)

Lorsqu’un salarié est sanctionné et argue d’un lien avec une alerte, il doit présenter des éléments justifiant d’une présomption.

Si ces éléments sont au dossier, il incombe alors à l’employeur de démontrer que la sanction repose sur des éléments objectifs étrangers à ceux qui ont fait naître la présomption.

« 15. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la salariée présentait des éléments permettant de présumer qu’elle avait signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, en sorte qu’il lui appartenait de rechercher si l’employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressée, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Ce régime probatoire est aligné sur celui qu’applique les juridictions administratives notamment lorsqu’est évoquée une situation de « harcèlement moral ».

Du côté du Conseil d’Etat : l’affirmation de trois critères imposant le refus de licenciement d’un salarié protégé en cas d’alerte lancée en vertu du droit national. (Conseil d’État, n° 437735, 27 avril 2022, publié au Bulletin)

« 5. Il résulte des dispositions du premier alinéa de l’article L. 1132-3-3 du code du travail, qui viennent d’être citées, que dans le cas où l’autorité administrative est saisie d’une demande d’autorisation de licenciement pour faute d’un salarié protégé auquel il est reproché d’avoir signalé des faits répréhensibles, il lui appartient de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits dénoncés sont susceptibles de recevoir la qualification de crime ou de délit, si le salarié en a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et s’il peut être regardé comme ayant agi de bonne foi. Lorsque ces trois conditions sont remplies, l’autorité administrative doit refuser d’autoriser ce licenciement. »

 

Au final, au-delà de l’intérêt médiatique qu’il a légitimement fait naître, l’arrêt de la CEDH du 14 février 2023 a été une opportunité de poser une méthodologie complète d’analyse, avec application aux faits de l’espèce, des situations où une sanction se rattacherait possiblement à la divulgation d’information dans un intérêt public. Ont été reprécisés les critères devant assurer le « juste équilibre » entre liberté d’expression et devoirs professionnels. Il appartiendra bien aux juges nationaux de le consacrer au travers des régimes probatoires qu’ils mettent en place progressivement sur ces questions.

 

Le lien vers la décision commentée est consultable ici. 

Auteur Jean-Bernard Prouvez

par Jean-Bernard PROUVEZ