Mieux vaut répondre juste : participer à une foire aux questions sur Internet expose les administrations au recours en annulation

#Structuration des services et organisation administrative#Responsabilités

 

A propos de Conseil d’État, 3 février 2023, n° 451052, mentionné aux tables du Recueil 

 


 

Les réponses publiées sur les sites Internet officiels des administrations peuvent constituer des actes attaquables devant le juge administratif. Ainsi en a décidé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 3 février 2023 dans la décision commentée. 

 

Dans cette affaire, le Ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique avait décidé de répondre aux internautes dans le cadre d’une « foire aux questions » relative aux modalités d’accès au fonds de solidarité constitué en faveur des entreprises pendant la période COVID.

 

Dans ce cadre, devait être publiée une réponse sur l’éligibilité au fonds des loueurs en meublés non professionnels. Sa rédaction était la suivante  » Non, les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds « . La juridiction administrative a alors été saisie d’une contestation de la légalité de ce qui était qualifié par les requérants de « refus de principe ».

Fort classiquement, le ministère a contesté la recevabilité du recours en estimant que cette réponse eu égard tant à son contenu qu’aux conditions de sa mise en ligne ne pouvait être regardée comme un acte pourvu d’effets juridiques et donc susceptible par lui-même de causer grief en modifiant une situation juridique.

Dans une conception moderne des sources du Droit et de l’action administrative, le Conseil d’Etat va, au contraire, considérer que :

« 4. Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices. »

Si bien qu’il en déduira, au cas particulier, que :

« 5. Par la question – réponse mentionnée au point 3, les services du ministre de l’économie, des finances et de la relance ont fait part de leur interprétation de l’ordonnance du 25 mars 2020 ainsi que du décret du 30 mars 2020, dans sa rédaction issue du décret du 8 février 2021 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, pris pour son application. Eu égard à sa teneur, cette interprétation du droit positif, émise par les services chargés d’instruire les demandes d’aides au titre du fonds de solidarité puis de procéder, le cas échéant, au versement de ces aides, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui souhaitent bénéficier des mesures de soutien mises en place. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, tirée de ce que la réponse litigieuse serait insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, doit être écartée ».

 

Une fois la recevabilité admise, la Haute Juridiction administrative considérera d’ailleurs que cette réponse n’était pas la bonne. Ce qui, sans doute, aura également pesé sur l’admission du recours.

Se trouve ainsi stabilisée la jurisprudence relative aux Foires Aux Questions. Y exprimer des lignes directrices ouvre bien la voie d’accès aux juges administratifs. Du droit nait donc sur Internet même lorsque là n’est manifestement pas tout à fait le souhait de celui qui y répond.

 

« Tourner 7 fois son clavier » avant de publier : un sage conseil adressé par le Conseil d’Etat aux administrations.

 


 

La décision est consultable ici. 

Les renvois jurisprudentiels du Conseil d’Etat :  Cf. CE, Section, 12 juin 2020, Groupe d’Information et de Soutien des Immigré.e.s (GISTI), n° 418142, p. 192. Rappr., s’agissant d’une prise de position de la CNIL dans une « foire aux questions » mise en ligne sur son site; CE, 8 avril 2022, Syndicat national du marketing à la performance et Collectif des acteurs du marketing digital, n° 452668, à publier au Recueil. Comp., s’agissant d’une réponse contenue dans une « foire aux questions » disponible en ligne, renvoyant sans s’y substituer à des circulaires ministérielles ; CE, 17 mai 2017, M. Lacquemant, n° 404270, p. 408.

 

Article par Jean-Bernard PROUVEZ

 

Auteur Jean-Bernard Prouvez

par Jean-Bernard PROUVEZ