Quand tout va mal : santé mentale et sanctions professionnelles

#Fonction Publique et Ressources humaines

 

Quand tout va mal : santé mentale et sanctions professionnelles. Des règles identiques pour les salariés et les agents publics ? Sauf pour la preuve ?

 


 

Un employeur public ou privé ne saurait désormais sanctionner sans tenir compte de l’impact s’il est avéré de troubles mentaux établis sur la survenance de la faute. Le critère de la concomitance des troubles et des faits reprochés demeure néanmoins essentiel et hautement problématique à apprécier. Qui doit en démontrer la satisfaction ?

 

Pour les salariés, dès 1998, la Chambre sociale de la Cour de cassation a posé le principe de la prohibition des mesures disciplinaires lorsque les faits imputés trouvaient leur origine dans une pathologie y compris mentale. Toute sanction qui méconnaitrait ce principe serait regardée comme constitutive d’une discrimination. L’appréciation de la médecine du travail est alors essentielle.

« Attendu que, pour décider que le licenciement de la salariée procédait d’une cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a estimé que son comportement anormal d’excitation n’était pas compatible avec ses fonctions de vendeuse responsable de salle d’exposition et que son état dépressif était seulement de nature à atténuer la gravité de sa faute ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que les faits qui étaient reprochés à la salariée étaient en rapport avec sa maladie, ce dont il résultait que l’employeur ne pouvait la licencier sans avoir fait préalablement constater son inaptitude par le médecin du Travail, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ; » (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 28 janvier 1998, n° 95-41.491)

Le Conseil d’Etat a, en 2013, fait application de ce principe à propos d’une sanction infligée à un salarié protégé. Il considérait lui aussi que le licenciement devait être refusé par l’Inspection du Travail si les faits évoqués dans la demande d’autorisation trouvaient leur origine dans la pathologie du salarié.

« Considérant que, pour juger que les faits reprochés à l’intéressé étaient en rapport avec son état pathologique, la cour a relevé, en se fondant notamment sur le rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif de Dijon, que le comportement agressif de M. B… pendant la journée du 21 mars 2005 était la conséquence des troubles psychiques dont il était atteint et des médicaments qui lui avaient été prescrits pour les traiter, lesquels avaient entrainé une addiction et avaient eu pour effet secondaire une altération de son état de conscience et une désinhibition du comportement ; qu’en en déduisant, par un arrêt suffisamment motivé, que l’administration ne pouvait légalement autoriser son licenciement pour faute, la cour n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que, par suite, le pourvoi de la SA Journal du Centre doit être rejeté » (Conseil d’Etat, 3 juillet 2013, n°349496)

 

S’agissant des agents publics, la jurisprudence est longtemps apparue comme plus incertaine. Dans un arrêt du 17 février 2023, le Conseil d’Etat a affirmé que l’altération devait être prise en compte mais qu’un simple certificat médical ne pouvait suffire. Surtout, il souligne que l’altération doit être strictement concomitante aux faits reprochés.

«  D’autre part, si M. D… soutient que son état de santé mentale le rendait irresponsable de ses actes, à l’instar de ce qui avait été déjà constaté à l’occasion de la précédente procédure de révocation engagée par la région Languedoc-Roussillon en 2008, lors de laquelle un rapport d’expertise psychiatrique avait conclu à son irresponsabilité au moment des faits qui lui étaient alors reprochés, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des documents fournis par l’intéressé, que son état de santé mentale, pour la période d’avril à septembre 2016, faisait obstacle à ce qu’une sanction soit prononcée en raison des manquements en cause.

Dans ces conditions, eu égard à la gravité des faits reprochés, lesquels sont au demeurant survenus alors que la région avait donné en 2014 à M. D… la possibilité de reprendre une activité professionnelle au sein de la fonction publique territoriale en décidant de ne pas mettre en œuvre la première sanction de révocation prise en 2008, et compte tenu de ce que l’état de santé mentale de M. D… n’était pas de nature à altérer son discernement au moments des faits en cause, l’autorité disciplinaire n’a pas, en l’espèce, pris une sanction disproportionnée en décidant de prononcer la révocation de l’intéressé. » (Conseil d’Etat, 17 février 2023, n°450852)

 

C’est surtout en matière probatoire que cette décision est importante. D’une part, l’administration même avertie d’une possibilité d’altération par une procédure précédente n’est tenue d’aucune obligation de vérification préalable, d’autre part, il semble bien que la charge de la preuve pèse classiquement sur l’agent lequel doit fournir des éléments circonstanciés pour démontrer que l’altération était présente au moment de la commission des faits.

« En cinquième lieu, il ne résulte d’aucune disposition législative ou réglementaire que l’engagement d’une procédure disciplinaire par l’autorité territoriale serait, à peine d’irrégularité, subordonné à une formalité préalable destinée à vérifier l’état de santé mentale du fonctionnaire concerné. Par suite, le moyen tiré de ce que la région Occitanie aurait dû rechercher si une procédure non disciplinaire était plus appropriée à l’état de santé de l’intéressé doit être écarté. » (Ibid)

Affirmer n’est donc pas démontrer quand bien même la relation de travail révèlerait des précédents médicaux importants. On ne saurait y voir des présomptions qui déplaceraient la charge de la preuve vers l’employeur. C’est bien à l’agent de justifier que tout allait mal au moment des faits au point de l’avoir privé de son discernement.

Les régimes de fond se rapproche mais chaque juge garde son autonomie s’agissant de l’administration de la preuve et de l’appréciation de ses mérites.

 

Au final, c’est, comme en matière pénale, l’existence d’une intention qui, même relative, doit être interrogée. Si l’agent n’établit pas de manière certaine et par des documents probants une altération ou une abolition de son discernement strictement concomitante aux faits ayant motivé l’engagement de la procédure disciplinaire, il est à bon droit sanctionné, y compris par une révocation en cas de gravité desdits faits.

 


 

Article par Jean-Bernard PROUVEZ

 

Auteur Jean-Bernard Prouvez

par Jean-Bernard PROUVEZ